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RILKE, Rainer Maria

Vergers, suivi des Quatrains valaisans

Paris, N.R.F., 1926

SUPERBE ENVOI DE RAINER MARIA RILKE, SOUS FORME DE POÈME, À NATALIE CLIFFORD BARNEY : “CELUI QUI ME RESSEMBLAIT COMME UN FRÈRE”.

LE DERNIER LIVRE DU POÈTE, PUBLIÉ L’ANNÉE DE SA MORT, ÉCRIT DIRECTEMENT EN FRANÇAIS, POUR MIEUX ROMPRE AVEC LA LANGUE ALLEMANDE

ÉDITION ORIGINALE des seuls poèmes publiés en français par Rilke

In-8 (187 x 132mm). Titre imprimé en vert et noir
ILLUSTRATION : portrait de Rilke par Baladine Klossowska, mère du peintre Balthus, gravé par Georges Aubert
TIRAGE : un des 118 exemplaires hors commerce (n° XXXV)

ENVOI autographe signé :

à Natalie Clifford-Barney

Ô le temple défait ou jamais terminé… Comment
adorer un Dieu qui tant se plaît aux ruines !
Les offrandes usent l'autel et le sel de nos larmes
[marines
ronge les dalles. Et quant aux colonnes : à deux
on les soutient ; c'est leur beau fût qui sépare
les amants… Aussi l'entraînent-ils avec eux
dans la lente chute de leurs étreintes avares.

Rainer Maria Rilke

(Fin de Juin)
Muzot.

BROCHÉ sous sa couverture verte, l’exemplaire a été coupé et lu. Chemise et étui
PROVENANCE : Pierre Bergé (ex-libris ; III, 28 juin 2017, n° 796, € 5639) -- Julien Bogousslavsky (Paris, 2 février 2024, n° 86, € 9100)

Rainer Maria Rilke (1875-1926) et Natalie Clifford Barney (1876-1972), quasi-contemporains, se fréquentèrent surtout à Paris. Clifford Barney tint un salon très prisé dès 1909. Rilke, à Paris depuis 1902, y fut un des premiers habitués, aux côtés d’Auguste Rodin, Remy de Gourmont, Paul Valéry ou André Gide. Dans son journal, Aventures de l’esprit, Natalie Clifford Barney raconte son amitié manquée avec Rilke ("notre aventure n’eut pas lieu”). Elle cite cet envoi puis évoque une proximité spirituelle évidente qui, néanmoins, demeura sans fruit.

“Ce n’est qu’en 1927, en lisant les Cahiers de Rilke et retrouvant le dernier passage de sa dernière lettre, que je fus prise par la hantise de celui qui me ressemblait comme un frère, un frère qu’aucun acte ne légitimait de son vivant et qui se révéla proche par cet héritage fort partagé, mais qui semble me revenir en propre (…) Pourquoi avions-nous été, Rilke, moi, ou trop discrets, ou trop absents, ou trop maladroits ?” (Aventures de l’esprit).

Le superbe poème d’envoi autographe, figurant en épigraphe du présent exemplaire, ne sera publié que bien après la mort de Rilke, dans ses œuvres complètes (Sämmtliche Werke, “Poèmes et dédicaces. 1920-1926”, t. II, 1957, p. 678). Le château de Muzot, près de Veyras en-dessus de Sierre, dans le Valais francophone, fut la dernière demeure de Rilke. Il y vivra, entouré de vignes et de vergers, composant ses poèmes français et ses versions d’après Paul Valéry, dont l’influence est sensible dans ce poème de dédicace.

Car, de février 1924 à mai 1925, Rainer Maria Rilke a choisi une autre langue que celle des Élégies de Duino et des Sonnetsà Orphée. La guerre l’aurait rendu sensiblement étranger au monde germanique. Libéré de l’extrême tension requise par les Élégies pendant dix ans, il découvre la nécessité d’un décentrement radical susceptible, aussi, de rejeter la maladie incurable qui le désarme. Outre l’idée d’être “plus visiblement lié, à titre de modeste écolier et d’immodeste obligé, à la France et à l’incomparable Paris”, et pour marginale qu’elle soit dans son œuvre, la voix des poèmes français est, de bout en bout, celle même de Rilke. Son attention aux choses suit le même mouvement d’accueil que les superbes poèmes en allemand, reconnaissant d’abord les objets les plus proches, avant de nommer le grand dehors qui s’ouvre au seuil du verger.

WEBOGRAPHIE : 

Aventures de l’esprit : https://www.google.fr/books/edition/Aventures_de_l_esprit/hHRYDwAAQBAJ ?hl=fr&gbpv=1&dq=rilke+%22clifford-barney%22&pg=PT66&printsec=frontcover