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[GRIMAREST, Jean-Léonor Le Gallois, sieur de]

La Vie de M. de Molière

Paris, Jacques Le Febvre, 1705

TÉMOIGNAGE EXCEPTIONNELLEMENT RARE ET DE PREMIÈRE MAIN SUR MOLIÈRE.

EXEMPLAIRE DE LA PREMIÈRE BIOGRAPHIE DE MOLIÈRE ANNOTÉ PAR THOMAS GUEULLETTE (1683-1766), MAGISTRAT ET COMÉDIEN AMATEUR, QUI CONNUT MADELEINE BÉJART, FILLE DE MOLIÈRE :

“MADEMOISELLE POQUELIN ME MARQUAIT BEAUCOUP D’AMITIÉ” (THOMAS GUEULLETTE).

L’EXEMPLAIRE FUT OFFERT PAR GRIMAREST À THOMAS GUEULLETTE QUI FIT RELIER, EN TÊTE DE CELUI-CI, UN PITTORESQUE RÉCIT DE SA MAIN DÉCRIVANT LE MONDE DES THÉÂTRES DE SOCIÉTÉ À PARIS AU DÉBUT DU XVIIIE SIÈCLE AINSI QUE LES CIRCONSTANCES DE SA RENCONTRE AVEC LA FILLE DE MOLIÈRE

ÉDITION ORIGINALE

In-8 (170 x 100mm)
COLLATION : [8] pp.n.ch., 314 pp., [7] pp.
ILLUSTRATION : portrait de Molière gravé par Audran d’après Mignard
NOTES autographes deux fois signées de Thomas-Simon Gueullette, 8 pages à l’encre noire sur 4 feuillets reliés en tête de l’exemplaire ; lettre manuscrite en latin signée de Renaüme, médecin, à un certain M. des Brideval (en fait, Thomas Gueullette, qui avait choisi ce nom de scène), 4 pages à l’encre noire sur 4 feuillets pliés reliés en tête de l’exemplaire ; traduction de la lettre en français par Thomas-Simon Gueullette, 6 pages autographes à l’encre noire sur 3 feuillets reliés en tête de l’exemplaire. SOIT, EN TOUT, 14 PAGES AUTOGRAPHES de Thomas-Simon Gueullette, reliées, à sa demande, en tête de l’exemplaire
NOTE autographe de Thomas-Simon Gueullette au dernier feuillet : “Molière n’a laissé qu’une fille”

TRANSCRIPTION DES NOTES :
RELIURE DE L’ÉPOQUE. Veau brun, dos à nerfs orné, tranches mouchetées
PROVENANCE : Thomas-Simon Gueullette (1683-1766 ; ex-libris ; longue note autographe deux fois signée) -- Bugny (ex-libris)

TRANSCRIPTION (complète) DES NOTES AUTOGRAPHES DE THOMAS-SIMON GUEULLETTE :

“Malgré ce que différents auteurs ont dit au sujet de Molière, je suis porté à croire que ce que M. de Grimarest en a écrit est le plus conforme à la vérité et renferme les faits de sa vie les plus intéressants. La raison qui m’y détermine est qu’il était fort ami de la fille de Molière que j’ai vu nombre de fois chez lui [nous soulignons] : 

Voyez comment je fus lié avec M. de Grimarest et par quel moyen je fis connaissance avec Mlle Poquelin. En 1707 Mr Langlois Doinel …fils du fermier général, jouant parfaitement la comédie pour son plaisir, et qui savait que j’avais quelque talent dans le genre, m’engagea de reprendre le rôle d’Hector dans Le Joueur [comédie de Regnard], rue du Four, faubg St Germain, chez des dames fort aimables. Comme je savais que ces sortes d’amusements n’étaient pas du goût de mon père, je n’acceptais la proposition de mon ami qu’à condition qu’il me présenterait à ces dames (dont je n'étais pas connu) sous le nom de des Bridenal. Nous fîmes faire un théâtre fort joli, et notre troupe, étant composée de personnes choisies, nous représentâmes avec beaucoup d’applaudissements Le Joueur, Le Grondeur [comédie de Brueys] et ensuite des scènes italiennes et à l’impromptu. Je faisais Lolive dans Le Grondeur et l’arlequin. Nous eûmes un si grand concours de spectateurs que l’on nous menaça de la part de quelques cagots de St Sulpice de faire abattre notre théâtre par ordre de M. d’Argenson. Cela n’eut pourtant pas son exécution. Madame de Gimarest qui demeurait dans le même quartier et qui était amie de nos acteurs, ne manqua pas une de nos représentations. Apparemment que la manière dont je jouais mes rôles lui plut puisqu’elle engagea M. Renaume, alors jeune médecin que j’avais connu dans cette maison, à m’envoyer la lettre ci jointe qu’il m’écrivit en latin afin qu’elle ne fût pas interceptée. Elle était trop flatteuse pour que je n’y répondisse pas favorablement. Je me rendis le lendemain chez M. de Grimarest dont la femme était extrêmement aimable et avait beaucoup d’esprit. Elle avait rassemblé chez elle tous les acteurs de sa société qui avaient assisté à nos comédies, et qui m’attendaient avec impatience. Après les compliments et les louanges dont on m’accabla, on me proposa le rôle de Valentin et un autre rôle de valet dans une petite pièce (dont j’ai oublié le nom). De la façon dont M. de Grimarest est, j’acceptai les rôles, et comme tous ces messieurs et dames savaient déjà le leur, je fis un effort de mémoire et, avec sept ou huit répétitions, je fus en état de jouer les miens au bout de quinze jours. 

C'est dans ces répétitions que je fis connaissance avec Mlle Poquelin, fille de Molière et de la Béjart, qui pouvait alors avoir 44 ans*. Autant qu'il m'en souvient aujourd'hui, elle n'était pas jolie et avait de l'air de son père, à en juger par le portrait que M. Mignard en a fait. C'était elle qui avait fourni une partie des mémoires qui avaient servi à écrire la Vie de Molière, et je ne sais pas pourquoi M. de Grimarest ne l'a pas dit. Il fallait qu'il eût des raisons pour cela, mais, pour moi, je me veux bien du mal, à présent, de n'avoir pas, dans ce temps-là, mieux cultivé la bienveillance de Mlle Poquelin qui me marquait beaucoup d'amitié. Mais j'étais alors jeune, dissipé, emporté par les plaisirs, et la disproportion d'âge entre elle et moi fit que je la négligeai et ne profitai pas autant que je l'aurais pu de ses politesses. Une autre raison qui fit que je la perdis de vue en m'éloignant peu à peu de la maison de M. de Grimarest, c'est que, malgré l'agrément que j'y trouvais, je me lassai de ne jouer que dans des pièces de sa façon, qui étaient bien mauvaises et qu'il soutenait admirables quoique les comédiens français les eussent toutes constamment refusées. D’ailleurs mes rôles étaient très insipides et il fallait encenser continuellement le maître de ces breuvages. Sur les productions de son esprit, je ne peux gagner cela sur moi et j’aimais mieux me priver d’une société fort aimable que d’être exposé à faire quelqu’impolitesse dont je n’aurais pas été le maître.

M. de Grimarest me fit présent de cette Vie de Molière de sa composition et y ajouta un autre livre intitulé Traité de la déclamation qu’il me donna le premier jour que j’allai chez lui. Les préceptes en étaient fort bons mais il les exécutait bien mal, car excepté les rôles d’ivrognes et de gascons qu’il rendait assez bien, c’était un acteur fort médiocre et il pouvait s’approprier ce que dot Horace : 
vice fungar cotis, acutem reddere quae ferrum valet, exsors ipsa secandi 
[in l’Art poétique. Nous traduisons : “J’utiliserai la pierre à aiguiser qui permet de rendre le fer tranchant sans pouvoir elle-même couper”]

M. Renaume connaissait fort M. Langlois Doinel qui lui fit confidence de mon véritable nom, c’est pourquoi sur la lettre il y a mis celui de des Bridenal et y a joint le mien.

Gueullette
Fait à Paris ce 22 décembre 1744

* Molière fut marié à la petite Béjart en 1661. Voyez la note au f. suivant
* Mademoiselle Molière, fille de Jean-Baptiste Poquelin, fut nommée Esprit, Marie, Madeleine Pocquelin Molière. Elle était grande, bien faite, peu jolie, mais elle réparait ce défaut par beaucoup d’esprit. Lasse d’attendre un parti du choix de sa mère, elle se laissa enlever par le sieur Claude Rachel, écuyer, sieur de Montalant. La veuve Molière qui….. avait épousé Guérin comédien fit quelques poursuites mais des amis communs accommodèrent l’affaire. M. et Mme de Montalant sont morts à Argenteuil sans postérité.
Cette note est extraite de l’Hist. Du théâtre français. Tome 12. f. 320

Autant que je me peux souvenir Mlle Molière était alors femme de M. de Montalant lorsque je fis connaissance avec elle.
Ce début de décembre 1747
Gueullette”

[RELIÉS À LA SUITE :] lettre de Renaume en latin, et sa traduction en français par Thomas Gueullette [Notre transcription est partielle] :

“Je vous envoie cette lettre en latin afin de dérober à vos parents ma connaissance de ce qu’elle contient si elle devait être interceptée... M. de Grimarest est le père dis-je, et sa femme qui est des plus aimables, se disposent à jouer une comédie de la façon du premier, et se voient… de trouver pour cela des auteurs qui excellassent dans l’art de la déclamation. Or M. de Grimarest qui est de nos voisins vous a vu jouer il y a quelque temps la comédie avec l’applaudissement – et l’on peut dire l’admiration - générale de tous vos spectateurs... Le mari et la femme qui me regardent comme votre ami, qualité dont je ne puis absolument me flatter, m’ont prié très justement de faire tous mes efforts auprès de vous pour obtenir ce qu’ils souhaitent avec tant d’ardeur...
Signé Reneaüme
Médecin”

Thomas Gueullette (1683-1766) raconte dans une note de quatorze pages, reliée en tête de l’exemplaire, les circonstances dans lesquelles cet exemplaire de La Vie de Molière lui fut offert par Grimarest lui-même. Le récit qu’il en donne décrit les théâtres de société à la fin du règne de Louis XIV, et surtout sa rencontre avec Madeleine Béjart, fille de Molière. Gueullette était magistrat de son état. Il prit un pseudonyme (Des Bridenal) pour assouvir sa passion de monter sur les planches. Ses talents l’amenèrent à rencontrer Grimarest en 1707, auteur de la première biographie de Molière, et surtout “Mademoiselle Poquelin, fille de Molière et de la Béjare”, qui lui “marquait beaucoup d’amitié”. Les notes sur cet exemplaire furent donc inscrites par la main d’un comédien amateur qui joua sous les yeux de la fille de Molière et devint son ami :

“Je fis connaissance avec Mlle Poquelin, fille de Molière et de la Béjart, qui pouvait alors avoir 44 ans”...

Esprit-Madeleine Béjart (1665-1723) avait un peu plus de sept ans quand son père mourut. Cependant, sa mère, Armande Béjart (morte en 1700) put lui rapporter de nombreuses anecdotes sur Molière et continua d'exercer son activité de comédienne et d'assurer, avec La Grange (1635-1692), premier comédien de Molière, la direction de la troupe. Le Registre de La Grange, conservé à la Comédie-Française, constitue l’autre source permettant de connaître les activités de la troupe de Molière, mais ne fut révélé qu public qu’à la fin du XVIIIe siècle.

La jeune Madeleine connut donc parfaitement l’entourage le plus proche de Molière, du temps où il était en vie, et après sa mort. On considère aujourd’hui, à l’instar de Thomas Gueullette, que Madeleine Béjart fut la principale informatrice de Grimarest pour sa biographie du dramaturge. La fille de Molière était bien âgée d’une quarantaine d’année (“44 ans” selon la notice de Gueullette) quand parut la Vie de Molière et quand Gueullette fit ses premiers pas au théâtre. Si Madeleine Béjart apporta le principal témoignage direct ayant permis d’écrire la première biographie de Molière, on connaît en revanche peu de choses la concernant. Elle vécut entre le faubourg Saint-Germain, la Comédie-Française et Meudon où sa mère avait acheté l’ancienne maison d’Ambroise Paré. Elle épousa l’organiste de l’église Sainte-André-des-Arts, un certain Claude de Rachel de Montalant. C’est sous ce nom que la désigne Thomas Gueullette à la fin de sa notice.

La Vie de Grimarest, alimentée des souvenirs de Madeleine Béjart, et composée sur le modèle des Vies de Plutarque, représente l’une des deux sources essentielles, avec les archives de La Grange, à la connaissance du maître du théâtre classique français. La mort de Molière, par exemple, y est décrite page 284 et suivantes. On y apprend que son dernier repas fut “un petit morceau de fromage de parmesan... avec un peu de pain”. Une table des matières offre de retrouver rapidement dans le livre les pièces qu’il écrivit et le nom de ses principaux contemporains.

Thomas Gueullette fit relier à la suite de ce récit une lettre que lui adressa un de ses admirateurs, un certain Reneaüme, médecin de profession. La lettre est écrite en latin et adressée à Gueullette sous son pseudonyme d’homme de théâtre pour plus de confidentialité. Il est question d’une pièce de théâtre écrite par Grimarest, que Reneaüme voudrait bien voir montée avec un rôle confié à Gueullette. Cette lettre complète parfaitement la première note qui la mentionne.

Cet exemplaire a été précieusement conservée dans la famille de son premier possesseur, Thomas Gueullette, jusqu’à une date récente, comme en témoigne une étude que lui consacra l’un de ses descendants, en 1938, et que nous joignons à cet exemplaire.

BIBLIOGRAPHIE : 

 J.-E. Gueullette, Un magistrat du XVIIIe siècle ami des lettres, du théâtre et des plaisirs. Thomas-Simon Gueullette, Paris, 1938. Exemplaire cité p. 49 et reproduit planche V, en vis à vis de la page 64

WEBOGRAPHIE : Registre de La Grange : https://www.comedie-francaise.fr/www/comedie/media/document/moliere-collec-lagrange.pdf