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Poupées électriques. Drame. Avec une préface sur le Futurisme
D’UNE MODERNITÉ L’AUTRE :
ENVOI DE MARINETTI À SON “CHER MAÎTRE” ROBERT DE MONTESQUIOU, SUR L’UNE DES OEUVRES PIONNIÈRES DU FUTURISME
ÉDITION ORIGINALE. Écrit directement en français par Marinetti
In-8 (180 x 111mm)
ENVOI autographe signé :
À mon cher maître
Robert de Montesquiou,
Hommage admiratif,
F. T. Marinetti
RELIURE DE L’ÉPOQUE. Chagrin vert, plats de papier marbré, tranche supérieure dorée
PIÈCES JOINTES : lettre autographe signée de Filippo Tommaso Marinetti à Robert de Montesquiou, sur papier à en-tête de Poesia : « je vous prie de vouloir bien m’envoyer votre jugement sur notre Manifeste du Futurisme et votre adhésion totale ou partielle… Votre réponse sera publiée dans Manifestes Poesia » -- Enquête internationale sur le Vers livre et Manifeste du Futurisme. Editions de Poesia, Milan, 1909. ÉDITION ORIGINALE DE l’Enquête et PREMIÈRE ÉDITION EN FRANCAIS du Manifeste. Broché.
La pièce de théâtre Poupées électriques fut d’abord écrite en français. Dans sa version en italien (La Donna è mobile), elle constitue la première pièce de théâtre de Marinetti qui fut jouée. Si la représentation fut un échec, Marinetti sut exploiter les sifflets pour faire la propagande du mouvement futuriste. On émit même l’hypothèse qu’il lui arriva, par la suite, de payer une claque de siffleurs. Cette pièce pré-futuriste met en scène des hommes-machines, sortes de créatures divines engendrées par la civilisation moderne. Celles-ci peuvent tousser, ronfler, lire un journal ou faire de la dentelle. Elles regardent et avivent les rapports amoureux de l’ingénieur et de sa femme.
En tête de Poupées électriques est publié le Manifeste du Futurisme. Afin de légitimer leurs ambitions, les futuristes élaborent un manifeste comme le feront toutes les avant-gardes après eux. Ils le publient pour la première fois, en Italie, en janvier 1909 puis le 20 février, en français, en première page du Figaro. Il paraît la même année en volume, avec l’Enquête internationale sur le Vers libre (qu’ils avaient lancée en 1905). Puis en tête de cette pièce de théâtre. Marinetti y proclame l'avènement d'une nouvelle esthétique de la vitesse et de la modernité industrielle.
Robert de Montesquiou n’est pas seulement une figure mondaine ou un modèle de personnage de roman (Des Esseintes, Charlus). Il est un écrivain éclectique, lié à la production artistique de son temps, et passionné par toutes les expériences nouvelles du tournant du siècle. Plusieurs aspects de son œuvre partagent les caractéristiques de l’avant-garde : la primauté du traitement de la matière sur le sujet, la simplification des formes, l’autonomie de l’œuvre (c’est-à-dire, son éloignement par rapport à la représentation et à la mimésis), son désir de placer l’art au centre de la vie et un goût pour le “non-finito” (ou le fragment, hérité de Mallarmé) qui domine l'esthétique contemporaine. L’emploi des onomatopées, la suppression ou la dislocation de la syntaxe que préconiseront les Futuristes existent déjà chez Montesquiou, dès la parution de son premier livre, Les Chauves-souris (1892). L’un des poèmes du recueil n’est constitué que de la reconstitution de sons. Montesquiou est un écrivain dont la modernité est aujourd’hui en partie oubliée mais qui ne le fut pas en son temps. Elle fut également reconnue par l’avant-garde suivante, celle des Surréalistes, notamment le jeune Antonin Artaud, dithyrambique, qui lui adressa ses premiers poèmes (cf. B.n.F., Mss., cote N. a. fr. 15213).
Ces caractéristiques d’une modernité présente chez Montesquiou seront défendues par les Futuristes. Ceux-ci veulent une invention libre, sans limite imposée par le thème ou la vraisemblance. Comme chez Montesquiou - et pour toute une modernité héritée de Mallarmé, l’œuvre doit exister pour elle-même. Elle ne se contente pas de représenter. Au théâtre, le temps n’a aucune nécessité d’être un temps réel et historique. Les Futuristes refusent les représentations théâtrales qui basculent dans la répétition chaque soir. Ils amèneront l’improvisation, le « happening » et la parodie sur la scène. L’œuvre ne cherche pas à plaire au spectateur ou au lecteur. Le pacte est rompu entre la scène et la salle : « j’ai la joie de savoir que mon génie, très souvent sifflé par le public de France et d’Italie, ne sera jamais enseveli sous des applaudissements trop lourds, comme un Rostand quelconque » (Marinetti). La scène de théâtre, pour les Futuristes, constitue le lieu où se joue la destruction des valeurs de la tradition.
Les années 1908-1909 voient la naissance de l’aventure futuriste. Ce sont exactement les deux années durant lesquelles Marinetti et Montesquiou seront le plus liés. Pour le mouvement futuriste, Montesquiou apparaît comme une recrue de choix. C’est une figure en vue de Paris qui peut apporter à l’entreprise la caution d’un nom prestigieux. Marinetti adresse d’abord au « cher Maître » les deux livres qu’il publie en 1908, La Ville charnelle et Les Dieux s’en vont, d’Annunzio reste (le second ouvrage, conservé à la Bibliothèque nationale de France, porte un envoi à Montesquiou). Durant l’hiver de la même année, la revue Poesia reproduit un ensemble de lettres d’une dizaine de personnes adressées à Marinetti et vantant son œuvre. Dans cette livraison, Montesquiou remercie Marinetti de lui avoir offert ses articles de « brillante critique, de finesse et de force » sur le « Grand Lyrique », c'est-à-dire d’Annunzio. L’année suivante, Marinetti lui envoie Poupées électriques.
Cette pièce, dont la préface reprend le « Manifeste du Futurisme », sonne la naissance du Futurisme. Montesquiou et Marinetti n’auront jamais été aussi proche qu’à l’époque de cet envoi. Mais Poupées électriques forme la limite au-delà de laquelle Montesquiou ne s’aventurera pas. S’il est curieux de l’audace de Marinetti, s’il apprécie son énergie et son enthousiasme, il demeure réservé quant aux théories développées par les Futuristes. Quand Poesia, en 1909, reproduit sous le titre « Adhésions et objections » un ensemble de lettres adressées à Marinetti à propos du Futurisme, Montesquiou ne dissimule pas son scepticisme pour cette « modernôlatrie » et oppose la tradition à l'« anti-tradition futuriste » : « Les anticipations, si géniales soient-elles, présentent toujours quelque chose de factice qui étonne davantage, mais qui agît moins ». En d’autre termes, Montesquiou ne croit pas en la radicalité des Futuristes. On ne crée du nouveau qu’avec la tradition. D’autre part, le dandy Montesquiou n’est certainement pas un homme qui peut faire partie d’un groupe ou d’un mouvement. Son originalité est de travailler librement, en marge des grands courants qui constituent l’histoire littéraire. Marinetti ne renonce pourtant pas à voir en Montesquiou sinon un ami, du moins une recrue possible : encore en 1913, il lui adresse un exemplaire de La Bataille de Tripoli, assorti d’un envoi autographe.
Sandro Brioso et Henk Hillenaar, Vitalité et contradictions de l’avant-garde, Paris, 1998, pp. 171 et suiv. -- Antoine Bertrand, Les Curiosités esthétiques de Robert de Montesquiou, Genève, 1996, t. II, pp. 741 et suiv.