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VAUBAN, Sébastien Le Prestre, marquis de

Projet d'une Dixme Royale : qui supprimant la Taille, les Aydes, les Douanes d'une Province à l'autre, les Décimes du Clergé, les Affaires extraordinaires & tous autres Impôts onéreux & non volontaires ; Et diminuant le prix du Sel de moitié & plus, produirait au Roy un revenu certain et suffisant, sans frais ; & sans être à charge à l’un de ses Sujets plus qu’à l’autre, qui s’augmenterait considérablement par les meilleures cultures des Terres

Rouen, [imprimé pour l’auteur], 1707

RARE ET BEL EXEMPLAIRE BIEN RELIÉ, AUX TRANCHES DORÉES, DE CE CÉLÈBRE OUVRAGE D’ÉCONOMIE POLITIQUE ET DE STATISTIQUE QUI VALUT SA DISGRÂCE AU MARÉCHAL DE VAUBAN.

LA LONGUE HISTOIRE DES TAXES ET DES RÉFORMES IMPOSSIBLES EN FRANCE.

ÉCRIT PAR UN HOMME DE PLEIN VENT : L’UN DES PLUS GRANDS HÉROS DE “L’HISTOIRE DU CATASTROPHISME” EN FRANCE (EMMANUEL LEROY-LADURIE).

INTÉRESSANTE PROVENANCE, CELLE D’UN AUTRE FINANCIER, LOUIS PAUL BELLANGER (1683-1738), LE PREMIER POSSESSEUR DE BAGATELLE, QUI RÉUNIT PAR DEUX RELIURES DE MÊME FACTURE, LA DIXME ROYALE DE VAUBAN ET UN MANUSCRIT QUI LA CONTREDIT

ÉDITION ORIGINALE, en second état pour le cahier B avec en B4v (p. 16), la définition du septier en “deux cent quarante livres” et non en cent soixante-dix comme dans le premier état

In-4 (251 x 190 mm). Bandeaux, initiales et culs-de-lampe gravés sur bois. Grand tableau dépliant servant de modèle à un dénombrement statistique (410 x 490mm) et titré : “Formulaire qui peut servir pour tout un pays”...
COLLATION : a4 A-Z 2A-B42C22D-E42F2, avec A1r-2C2v paginés 1-204
CONTENU : a1r : titre, a2r : table, A1r : texte, 2D1r : “Table des choses principales contenues dans ces mémoires”
TIRAGE à quelques centaines d’exemplaires : “il y eut au total (au terme d'une série de livraisons) fabrication de plusieurs centaines d'exemplaires de cette Dîme, qui va faire beaucoup parler d'elle” (Emmanuel Leroy-Ladurie, op. cit., p. 792)
RELIURE DE L’ÉPOQUE. Veau écaille, décor doré, triple filet d’encadrement avec rosette aux angles, dos à nerfs très orné, tranches dorées
PROVENANCE : Louis-Paul Bellanger (1683-1738), Trésorier général du Sceau de France, Avocat général à la Cour des aides, Conseiller du Roi et vicomte d’Hostel, l’un des premiers possesseurs de Bagatelle qui le cède en 1720 à Victor-Marie maréchal-duc d’Estrées (1660-1737). La bibliothèque de Bellanger, bibliophile raffiné, est vendue par Gabriel et Claude Martin en 1740 (Catalogue des livres de feu M. Bellanger, Trésorier Général du Sceau de France). Cette Dixme royalle et le manuscrit de Guérin de Rademont y figurent ensemble sous deux numéros de lots différents, celle-ci sous le n° 728 à la page 431, soit exactement celui figurant sur une garde : “728.e.”. Pour le catalogue de la vente, cf. https://www.google.fr/books/edition/Catalogue_des_livres_de_feu_M_Bellanger/4tM9AAAAcAAJ?hl=fr&gbpv=1&dq=%22nouveau+trait%C3%A9+sur+le+dixi%C3%A8me%22&pg=PA431&printsec=frontcover). La préface précise : “nous n’avons pas cru devoir changer l’ordre des N° et nous avons laissé celui dans lequel les Livres étaient rangés les tablette”. La plupart de livres étaient reliés par Boyet -- sans doute : “Bibliothèque de la Davière”. Château du département de la Sarthe (commune de Courcemont) ayant appartenu à une branche de la famille de Maupeou, celle des marquis de Sablonnières, avant d’appartenir aux comtes de Mailly-Chalon. Le château a été rasé et la bibliothèque vendue en 1902 

Petit raccommodage de papier dans la marge supérieure du feuillet D2. Charnières usées

Sébastien Le Prestre, maréchal et marquis de Vauban, le plus connu des ingénieurs militaires français, est l’archétype de l'honnête homme du XVIIe siècle. Né en mai 1633 à Saint-Léger-de-Foucherts (Saint-Léger Vauban, dans le Morvan), le poliorcète a écrit tous les jours de sa vie, au gré de ses pérégrinations multiples et incessantes, de très nombreux traités ou mémoires. Ceux-ci touchent aussi bien aux sciences, à l'économie, à l'agriculture et à la stratégie qu'à l'architecture militaire. Vauban, homme de plein vent, suit en cela l’adage latin nulla dies sine linea (Pline, Histoire naturelle, XXXV, 36). En 1689, il rédige par exemple un mémoire présenté à Louvois sur “le rappel des huguenots” incitant Louis XIV à envisager la suppression de la révocation de l'édit de Nantes au nom de la liberté de conscience.

En janvier 1695, Vauban présente au Roi son Projet de capitation - ancêtre de la Dixme royale - tant il avait été marqué par le constat des famines à répétition des premières années de la décennie 1690, plus particulièrement celles de 1692 et 1693. Puis, seconde pierre d’attente de la Dixme, Vauban rédige, lors de l’un de ses rares séjours dans son château de Bazoches, durant la fin de l’année 1695, sa Description géographique de l’élection de Vézelay. Il la remet au Roi en janvier 1696. Pour réformer le royaume et son système fiscal, à l’évidence créateur de misère, il faut d’abord le décrire, le compter, le “dénombrer”, pour utiliser la langue du temps, et mettre en place un appareil statistique que la Dixme révélera. Rien de mieux donc que d’exercer sa plume sur les cinquante-cinq paroisses qui composent l’élection de Vézelay, son “cher” pays comme il aime à le nommer. Le tableau est apocalyptique : à l’ingratitude d’une agriculture épuisée s’ajoute une démographie misérable. Ce texte, partie des Oisivetés de Monsieur de Vauban, sera publié en 1802 par François de Neufchâteau (1750-1828). En 1698, Vauban met en place un système statistique de recensement de la population.

La Dîme royale est un ouvrage écrit par le maréchal entre 1695 et 1697 en collaboration avec son secrétaire, l'abbé Vincent Ragot de Beaumont (1624-1714), et publié en 1707. Dès 1698, dans une lettre du 28 janvier à son ami Michel Le Peletier de Souzy (1640-1725), Directeur général des fortifications, il avait annoncé sa réforme radicale de la fiscalité, bien conscient que son caractère inégalitaire était un frein au développement économique du pays. Vauban élabore donc ce projet d'impôt appelé “dîme royale” (ou “le dixième”) pour simplifier les prélèvements (nombreux, compliqués et inefficaces). Il propose un impôt unique sur le revenu avec un taux variable ne dépassant pas 10 %.

“L'idée vaubanienne essentielle et qui demeure valable en dépit d'illusions diverses où s'enferme l'auteur, c'est celle d'une fiscalité de type nouveau qui produirait, pour le Roi, un revenu substantiel, et qui remplacerait certaines impositions périmées ; elle imposerait tous les fonds de terres par rapport à leur produit (...) La Dîme royale est rédigée incontinent après la paix de Ryswick (1697-1698) ou peut-être un peu auparavant, et bien sûr pendant l'année 1700, à l'occasion d'un séjour hivernal, puis post-hivernal à Lille et ensuite à Bazoches. L'auteur souhaite (...) évincer la fiscalité traditionnelle : tailles, aides, douanes provinciales, décimes du clergé et même une partie des gabelles ; le tout (...) devant disparaître au profit d'une imposition proportionnelle sur le produit des fonds de terre.” (Emmanuel Leroy-Ladurie, op. cit. infra, pp. 788-789). 

Pour justifier ce projet (que l'on retrouvera chez Mirabeau), Vauban argumente, à la manière de William Petty, avec les faits qu'il présente en de multiples tableaux. Schumpeter dira de Vauban : “c'est ce qui fait de lui un économiste classique, au sens apologétique du terme, et un précurseur des tendances modernes” (Histoire de l'analyse économique). Selon Schumpeter encore, la Dixme royale “atteint des sommets rarement égalés”.

La publication de ce livre ébranla sérieusement la position de Vauban à la Cour. En effet, imprimés sans privilège à Rouen avant que les feuillets ne soient introduits clandestinement à Paris, les exemplaires furent immédiatement saisis.

"Décembre 1706 : un maréchal de France (Vauban) âgé de soixante-treize ans, introduit lui-même dans son carrosse franchissant la porte Saint Denis, deux ballots de feuilles clandestinement imprimés à Rouen, qu'il fait aussitôt relier chez la Veuve Fétil, rue Saint Jacques. Un bel in-quarto qu'il s'agit de distribuer aux amis influents qui auraient pu contribuer au succès de son action. Les Arrêts du Conseil privé du roi devaient enjoindre que tous les exemplaires (...) fussent saisis, confisqués et mis au pilon". (En Français dans le texte

Michel de Boislisle précise, dans La Proscription du projet de Dime Royale et la mort de Vauban, que le relieur déclara à la police n'avoir reçu que deux cent soixante-quatre exemplaires au total, dont douze reliés en maroquin et le reste en veau ou en vélin. Aucun exemplaire n'était destiné à être mis dans le commerce : "je ne suis pas marchand" disait Vauban. Tous les exemplaires sont offerts par le vieux maréchal à ses amis dans l'espoir de diffuser ses idées. Saint-Simon raconte quarante années après les événements :

"le livre de Vauban fit grand bruit, goûté, loué, admiré du public, blâmé et détesté des financiers, abhorré des ministres dont il alluma la colère (...) Les magistrats des finances tempêtèrent et l’orage fut porté jusqu’à un tel excès que, si on les avait crus, le maréchal aurait été mis à la Bastille et son livre entre les mains du bourreau (...) La robe entière en rugit pour son intérêt".

Le succès fut immédiat et considérable. Il y eut sept autres éditions de petit format dans la même année 1707 et l’ouvrage fut traduit en anglais dès 1708 (A Project for a Royal Tyth). Le 14 février 1707, le Conseil privé du Roi se réunit, condamne l'ouvrage, ordonne la saisie et la destruction des exemplaires, d’où sa rareté. Le Conseil du 14 mars 1707 ordonne à la police d'intervenir. Vauban est informé des procédures le 24 mars, mais meurt d’une bronchite qu’il tenait depuis longtemps, quelque temps après, le 30 mars, sans qu’il y ait grand lien de cause à effet des unes à l’autre, contrairement à ce que racontèrent Saint-Simon et la légende. Car celle-ci naquit bien vite, faisant du maréchal de Vauban l’un des héros de “l’histoire du catastrophisme” français (Emmanuel Leroy-Ladurie).

[Avec :] 15644
[GUEUVIN ou GUÉRIN DE RADEMONT]
Nouveau Traité sur le Dixième. Mémoire important concernant la Dixme Royalle où l'on fait voir par des reflexions solides, les erreurs qui se sont trouvées dans le livre de feu Monsieur de Vauban qui a pour titre : Projet d'une Dixme Royale 
S.l.n.d., 1707-1715

L’OPPOSITION À VAUBAN : PREMIERS PAS DE L’ÉCONOMIE QUANTITATIVE.

COMMENT CALCULER LE “PIB” DU ROYAUME DE FRANCE.

LE MANUSCRIT EST ÉCRIT PAR UN FINANCIER, GUÉRIN DE RADEMONT, QUI SE PLACE DANS LE SILLAGE DIRECT DE L’ŒUVRE DE VAUBAN.

INTÉRESSANTE PROVENANCE, CELLE D’UN AUTRE FINANCIER, LOUIS PAUL BELLANGER (1683-1738), LE PREMIER POSSESSEUR DE BAGATELLE, QUI RÉUNIT PAR DEUX RELIURES DE MÊME FACTURE, LA DIXME ROYALE DE VAUBAN ET UN MANUSCRIT QUI LA CONTREDIT

MANUSCRIT à l’encre brune de 48 feuillets in-4 (243 x 181mm), 11 lignes à la page, soit 96 pages paginées des premiers feuillets [0]-1-37 puis non paginé
COLLATION et CONTENU : [0] : faux-titre, p. 1 : titre et incipit : “Ce Mémoire a été occasionné par la Dixme Royalle faite par feu Monsieur de Vauban”, p. 3 : Étendue du Royaume, p. 6 : État des Généralités du Royaume, p. 10 : État contenant par généralités les Villes, Bourgs, Feux et Paroisses du Royaume, p. 16 : Maisons, Bâtimens ou Édifices du Royaume, p. 35 : Récapitulation des revenus annuels des Maisons et Bâtimens du Royaume, [p. 38] : Dénombrement abrégé des peuples du Royaume, [p. 43] : Réflexions importantes contre la précédente division, [p. 60] : Rectification de la lieue quarrée suivant les réflexions ci-dessus, [p. 63] : Estimation particulière en espèces de fruits de chaque arpent d’héritages, cf. p. 133 de l’édition de Liège, [p. 72] : Estimation particulière et généralle en argent, [p. 76] : Total de tous les héritages du Royaume
RELIURE DE L’ÉPOQUE. Veau écaille, décor doré, triple filet d’encadrement avec rosette aux angles, dos à nerfs très orné, tranches dorées
PROVENANCE : Louis-Paul Bellanger (1683-1738), Trésorier général du Sceau de France, Avocat général à la Cour des aides, Conseiller du Roi et vicomte d’Hostel, l’un des premiers possesseurs de Bagatelle qui le cède en 1720 à Victor-Marie maréchal-duc d’Estrées (1660-1737). La bibliothèque de Bellanger, bibliophile raffiné, est vendue par Gabriel et Claude Martin en 1740 (Catalogue des livres de feu M. Bellanger, Trésorier Général du Sceau de France). Cette Dixme royalle et le manuscrit de Guérin de Rademont y figurent ensemble sous deux numéros de lots différents, celle-ci sous le n° 729 aux pp. 431-432, soit exactement celui figurant sur une garde : “729”. Pour le catalogue de la vente, cf.1 ). La préface précise : “nous n’avons pas cru devoir changer l’ordre des N° et nous avons laissé celui dans lequel les Livres étaient rangés les tablette”. La plupart de livres étaient reliés par Boyet -- sans doute : “Bibliothèque de la Davière”. Château du département de la Sarthe (commune de Courcemont) ayant appartenu à une branche de la famille de Maupeou, celle des marquis de Sablonnières, avant d’appartenir aux comtes de Mailly-Chalon. Le château a été rasé et la bibliothèque vendue en 1902

La situation catastrophique de la dette des finances publiques laissée par Louis XIV encouragea les innovations financières et les recherches de solutions conduites par les professionnels de la finance et en particulier par John Law. Encore fallait-il savoir précisément et calculer la richesse du pays, son produit. C’est donc dans le sillage laissé par l’œuvre de Vauban qu’il faut placer la naissance de ce texte ici manuscrit et datant très certainement des années 1707-1715. Vauban s’était en effet livré à des calculs d’estimation des “revenus du Royaume” dans sa Dixme royalle de 1707. Il les estimait à 2.337 millions de livres. Ici, Gueuvin ou plutôt sans doute Guérin de Rademont, conseiller du roi et receveur de ses fermes, ouvre une nouvelle appréciation du PIB de la France.

Ces calculs forment, en quelque sorte, les premiers pas de l’économie quantitative effectués dans les années qui précèdent la Régence lorsque John Law et son équipe s’attachèrent à apurer le déficit considérable des finances publiques. Guérin de Rademont estime dans ces pages le revenu de tous les “édifices et héritages” du royaume à 2.494.939 livres, ce qui fournirait donc une “dîme” de 249 millions de livres annuels.

Ce “conseiller du roy et receveur de ses fermes” n’est pas le seul de son temps à estimer la richesse du pays : outre Pierre Le Pesant de Boisguillebert (1646-1714), auteur du Détail de la France paru en 1695 et que Vauban a lu, on peut citer aussi les travaux de Nicolas Dutot (1684-1741) avec son Histoire du Système de John Law restée manuscrite et publiée récemment (Paris, INED, 2000), comme ceux de Charles-Irénée Castel de Saint-Pierre (1658-1743), auteur de réflexions sur la taille (Mémoire sur l’établissement de la taille proportionnelle, 1717).

Il existe une autre copie manuscrite de ce texte de Guérin de Rademont. Elle est conservée à la Bibliothèque de l’Arsenal sous la cote Ms-5300 et se présente sous le même titre en 47 feuillets reliés en demi parchemin vert.

WEBOGRAPHIE :
- pour l’édition de 1715 de ce texte publié chez J.-F. de Milst à Liège, avec variation dans les calculs par rapport à notre manuscrit mais dont le contenu suit à quelques autres variantes près celui de cette édition imprimée, cf.2
- Antoin E. Murphy, professeur à Trinity College : “John Law et la gestion de la dette publique”, La Dette publique dans l’histoire, (dir.) Jean Andreau, Gérard Béaur et Jean-Yves Grenier, Paris, 2006 : 3
- pour la vente de Louis Paul Bellanger en 1740 cf : 4

BIBLIOGRAPHIE : 

En français dans le texte n° 134 -- Carpenter X (1) -- Goldsmiths 4431 -- Kress 25 -- Michel de Boislisle, “La Proscription du projet de Dime Royale et la mort de Vauban”, Mémoire lu à l'Académie des sciences morales et politiques, Paris, 1875 -- Vauban, La Dîme royale, présentation par E. Le Roy Ladurie, Imprimerie nationale, 1992

WEBOGRAPHIE : on consultera avec profit l’article d’Emmanuel Leroy-Ladurie où figure cette citation : “Le Vauban de la Dîme royale, c'est justement l'homme du catastrophisme” (p. 782). https://www.college-de-france.fr/sites/default/files/media/document/2024-06/1991-1992_leroyladurie_1.pdf