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Préface du catalogue : Les Grands voyages scientifiques et Charles Darwin
20 LIVRES D'EXPLORATION SCIENTIFIQUE DANS LE PACIFIQUE DE JEAN-FRANÇOIS DE LA PÉROUSE À CHARLES DARWIN.
Les voyages français dans le Pacifique et leur écho chez Charles Darwin.
Il nous a été donné, par chance, de pouvoir acquérir en bloc un ensemble remarquable de livres de voyages français de circumnavigation dans le Pacifique, du Voyage autour du Monde de Jean-François de La Pérouse, publié en 1797, jusqu’au monumental Voyage au Pôle Sud et dans l’Océanie sur les corvettes L’Astrolabe et La Zélée de Jules Dumont d’Urville, publié de 1842 à 1854. Au long de cette série de douze ouvrages se croisent les noms célèbres du chevalier d’Entrecasteaux, du naturaliste François Péron et de Louis-Claude de Saulces de Freycinet, de Cyrille Laplace, d’Aristide Aubert du Petit-Thouars, d’Auguste Nicolas Vaillant, d’Etienne Marchand et de Louis-Isidore Duperrey. Chacun de ces navires partait en expédition avec de jeunes « savants » constitués en équipe, le plus souvent issus de l’Ecole Polytechnique.
Ces douze textes forment une masse considérable de cent vingt-cinq volumes contenant 4250 planches gravées, très souvent coloriées à l’époque, présentant des vues de paysage ou des peuplades du Pacifique, des coraux, des animaux et des plantes, ou de précieux relevés cartographiques.
Ces ouvrages proviennent tous de la même bibliothèque formée par l’une des rares dynasties politiques du XIXe siècle puisqu’elle connut deux ministres importants, l’un de Napoléon Ier, l’autre de Louis-Philippe. Proche des cercles les plus intimes du pouvoir, ces ministres avaient accès aux livres créés par l’Etat, puisque chacun de ces voyages de circumnavigation correspondait à une mission précise, réclamée et financée par le pouvoir de la République, de Napoléon, des Bourbons ou de Louis-Philippe. L’une des principales ambitions de ces voyages était politique et commerciale. Et c’est ce qui aujourd’hui nous intéresse le moins, sans que cet aspect doive pour autant être négligé.
Il nous a paru essentiel, en effet, de regarder plutôt ces navigations sous l’angle des découvertes scientifiques effectuées par chacune d’entre elles. Mais où trouver la mesure de cette masse immense de travaux ? Le point focal, c’est-à-dire le lieu où tout se retrouve, s’est alors imposé avec évidence en la personne de Charles Darwin. C’est lui qui, pour finir, donnera leur sens ultime à ces voyages.
D’abord parce qu’il est un aventurier de la science. Son voyage de cinq années sur le Beagle, de 1831 à 1836, de vingt-deux à vingt-sept ans, lui a fait croiser la route intellectuelle de nos voyages « français ». Et puis aussi parce que l’on sait tout de lui : quelques dizaines d’années après sa mort, les papiers de Darwin, sa bibliothèque personnelle, sa correspondance passive (celle qu’il reçut) et une grande partie de sa correspondance active (celle qu’il émit), entrèrent en quasi-totalité à Cambridge. L’université créa pour eux, il y a quelques années, une Biodiversity Heritage Library auquel s’agrégea une activité de recherches particulièrement étendue.
Ainsi les chercheurs ont-ils pu reconstituer la bibliothèque embarquée du Beagle, non seulement parce que Darwin conserva certains exemplaires, mais aussi par déduction de ses lectures, par ses notes et ses brouillons. Sa localisation à bord, à la poupe du bâtiment, fut aussi identifiée. On pense aujourd’hui qu’elle comptait 204 ouvrages totalisant environ 420 volumes. Chacun de ces ouvrages abondait en notes et en citations auxquels Darwin se référait. L’ensemble a été digitalisé sur le site Darwin online. Les proportions sont éloquentes. Cette bibliothèque de bord se composait à 91% de livres de science et récits de voyages, à 4% de littérature, et à 2% d’histoire. Sur les 204 ouvrages, près de trente-huit étaient imprimés en français. La plupart des livres étaient illustrés : “another surprise revealed by the online Beagle library is the enormous and rich visual gallery it contained”.
Figure aussi sur ce site une masse importante de manuscrits et d’archives, les Darwin papers, et la liste des livres de la bibliothèque personnelle de Darwin à Down House, dans le Kent, aujourd’hui conservée à Cambridge où Darwin fut étudiant. 1480 livres de Darwin ont déjà été digitalisés et, parmi eux, 730 contiennent des annotations du savant. A cela s’ajoute la correspondance présentée par le Darwin correspondence project sur le site de l’Université de Cambridge. Autant dire que la pensée darwinienne et son écriture sont remarquablement cartographiées, dans leurs moindres détails. On y découvre les vibrations de cette gigantesque république des lettres scientifiques qui avait pris Darwin comme centre de gravitation.
Il ne restait plus qu’à filer l’aiguille, à vérifier la présence des différents voyages français dans cette masse de documentation disponible sur internet pour comprendre que Darwin était au courant de toutes les découvertes faites. Il entrait également en correspondance avec certains des savants ayant été embarqués sur les navires, par exemple lorsqu’il s’agissait de coraux pour la publication de Coral reefs en 1842. Pourtant les Français s’apparentaient davantage aux recherches de Cuvier et Lamarck. Leurs découvertes n’eurent pas d’influence systématique sur Darwin. Au savant anglais, ces livres de voyage ont plutôt proposé une source vive de pensées, d’expérimentations et de découvertes qu’un véritable système.
A cette collection, nous avons ajouté les exemplaires du Voyage aux Indes de Pierre Sonnerat (1782), tant les renvois à ce texte fourmillent chez Darwin, et un précieux exemplaire de l’Encyclopédie ayant appartenu à Charles de La Condamine. Non pas que les travaux de Diderot et d’Alembert soient souvent cités par Darwin. Leur apport touche plutôt à une biologie encore balbutiante au XVIIIe siècle. Mais le modèle d’exploration fourni par La Condamine, ses recherches multiples dans la Cordillère des Andes guidèrent Darwin. Et la bibliothèque du Beagle fait en de multiples occasions référence aux voyages de l’autre grand scientifique aventurier que fut La Condamine. Pour faire le point en mer, il fallait savoir se situer grâce au chronomètre de marine inventé par le Sieur Ferdinand Berthoud. Aussi avons-nous joint un bel exemplaire de son Traité des horloges marines (1773). Nous avons aussi fait figurer ici Wilhelm de Humboldt tant les travaux et les explorations multiples effectués par ce Prussien de Paris ont fasciné le jeune Darwin, qui le rencontra et le lut.
Jean-Baptiste de Proyart